Ces 40 dernières années, l’Europe fait face à une augmentation inquiétante des phénomènes météorologiques et hydrologiques extrêmes, tels que les tempêtes mais aussi les inondations et de sévères périodes de sécheresse. Plus récemment ces événements ont pris une ampleur alarmante dans la plupart des pays européens, mettant en péril les communautés, les infrastructures et l’environnement.
Si ces deux types de phénomènes hydrologiques extrêmes peuvent causer énormément de dommages, ils paraissent néanmoins se situer aux antipodes les uns des autres. Alors que tout semble les opposer, il existe pourtant bel et bien des liens entre les périodes de sécheresse et les épisodes d’inondation, qui, sous certaines conditions peuvent s’amplifier mutuellement. C’est pourquoi il est important de considérer les cycles hydrologiques dans leur ensemble.
Des inondations dévastatrices
Les occurrences d’inondations deviennent plus fréquentes sur l’ensemble de l’Europe, avec des conséquences de plus en plus désastreuses. Les pluies violentes et les crues soudaines provoquent des débordements des fleuves et des rivières et des inondations côtières, causant régulièrement des pertes humaines, des déplacements massifs de populations et des dommages matériels considérables. Le changement climatique, avec son impact sur les schémas de précipitations, est l’un des facteurs majeurs contribuant à cette radicalisation.
Cependant, il convient également de souligner que l’urbanisation rapide et la modification des bassins versants aggravent considérablement les risques d’inondation. En effet, sous la pression foncière et immobilière, la construction de bâtiments et d’infrastructures est fréquemment autorisée dans des zones pourtant inondables. On constate aussi une altération du terrain par les activités humaines comme l’agriculture et la déforestation, qui contribuent à une augmentation de la vulnérabilité face aux inondations. De plus, l’expansion des zones urbaines et la création de surfaces imperméables réduisent la capacité du sol à absorber l’eau, augmentant ainsi le risque d’inondation en cas de précipitations importantes.
Des sécheresses prolongées
Au cours de l’année écoulée, nous avons été les témoins d’une intensification cruelle des sécheresses dans de nombreuses régions européennes, ce qui a parfois entraîné des restrictions d’eau, des récoltes réduites par manque d’irrigation, des problèmes d’assainissement et d’approvisionnement en eau potable voire une inquiétude quant au refroidissement de certaines centrales nucléaires.
Sous l’influence grandissante du réchauffement climatique, les étés torrides mais aussi les hivers anormalement secs, jouent un rôle clé dans cette radicalisation.
Les précipitations insuffisantes, combinées à la surexploitation des ressources en eau, épuisent les réserves souterraines de la nappe phréatique et affectent lourdement le débit des cours d’eau. On constate aussi que la sécheresse et l’augmentation des températures aggravent considérablement l’ampleur des incendies de forêt partout sur la planète, accentuant d’autant l’érosion des sols et leur capacité d’assimilation des précipitations.
Sécheresses et inondations, les deux faces d’un même phénomène
Les liens existants entre ces deux phénomènes hydrologiques extrêmes démontrent une relation paradoxale qui nécessite une étude approfondie pour élaborer des mesures efficaces de prévention et de résilience face aux risques environnementaux.
Comment les périodes de sécheresse peuvent causer des inondations
Contrairement à ce que la logique pourrait nous laisser intuitivement penser, les périodes de sécheresse sévères peuvent donc considérablement contribuer à provoquer ce type d’inondation. Lors d’une période de sécheresse, le sol sec et dur perd une grande partie de sa capacité à absorber l’eau lorsqu’il pleut à nouveau. Dans ce cas, l’eau non infiltrée s’accumule en surface ou s’écoule selon la pente du sol, provoquant des inondations extrêmement soudaines et souvent dévastatrices.
On parle alors d’inondations par ruissellement, également appelées inondations de surface ou inondations pluviales.
Comprendre comment les périodes de sécheresse peuvent contribuer à provoquer des inondations, s’avère déterminant afin de pouvoir prendre des mesures préventives pour minimiser les risques et les impacts potentiels.
Comment les inondations peuvent aggraver les périodes de sécheresse
Même si le manque de précipitations est toujours à l’origine des sécheresses, les épisodes d’inondation peuvent partiellement participer à leur aggravation. En effet, lors d’une inondation, lorsque la puissance de l’eau se déchaine sur des sols riches et profonds, elle peut emporter avec elle des sédiments et des nutriments qui sont essentiels pour la croissance des plantes. L’appauvrissement des sols touchés par ce phénomène peut ainsi rendre plus difficile la croissance des plantes à l’avenir. Dans certains cas, cela qui peut localement contribuer à une dé-végétalisation des zones impactées, et donc à accentuer les effets néfastes de nouvelles périodes de sécheresse.
Ainsi, selon l’ONG Global Forest Watch (GFW), « l’ensemble des grands bassins versants de la planète ont perdu 22 % de leur couverture végétale au cours de ces seules 14 dernières années ».
Par ailleurs, les inondations peuvent également perturber les écosystèmes en modifiant la qualité de l’eau, la quantité de nutriments et la composition des communautés de plantes et d’animaux. Les épisodes d’inondation peuvent notamment entraîner une augmentation de la turbidité de l’eau, qui peut affecter la photosynthèse des algues et des plantes aquatiques. De plus, les nutriments et les sédiments entraînés par les inondations peuvent se déposer dans les lacs et les rivières, modifiant la chimie de l’eau et affectant la qualité de l’habitat des organismes aquatiques.
Ces changements peuvent contribuer à la prolifération d’algues et de plantes aquatiques, et entraîner une diminution de l’oxygène dans l’eau et la mort d’une partie de la faune et de la flore initialement établies. Là encore, ces bouleversements dans les biotopes des zones humides peuvent contribuer à affaiblir leur résilience lors des futures périodes de sécheresse.
Dans la plupart des situations, les inondations ne sont pas directement responsables des sécheresses, mais elles peuvent avoir des impacts sur l’équilibre hydrique et la fertilité des sols si des mesures de gestion appropriées ne sont pas mises en place.
Le rôle des jet-streams
Un autre élément à prendre en compte dans les explications des phénomènes hydrologiques et météorologiques extrêmes réside dans les perturbations des jet-streams. Ces courants atmosphériques de haute altitude, situés entre 7 et 16 km au-dessus du sol, sont conditionnés à la fois par la rotation de la Terre et par les différences de température entre les pôles et l’équateur. Au cours des dernières décennies, ces écarts de température ont diminué, ce qui a entraîné une hausse des températures moyennes sur terre et en mer, ainsi qu’une diminution rapide de la glace au pôle Nord. Ce phénomène a pour conséquence de ralentir les masses d’air des jet-streams mais aussi d’accentuer les ondulations nord-sud de ces énormes courants.
Ces changements se traduisent par un renforcement des événements climatiques et par un ralentissement de leur déplacement. Les épisodes de précipitations et les vagues de chaleur et de canicule deviennent en même temps plus intenses tout en durant plus longtemps sur les zones sur lesquelles elles frappent.
C’est une des explications concrètes à la radicalisation du climat, au niveau europén bien sûr mais également sur toute la planète.
Jet-streams : les courants atmospériques au-dessus de l’Europe © CARBON BRIEF, NASA
La situation en Europe
Mai 2023 : l’Italie touchée par des inondations en Émilie-Romagne
Du 16 au 18 mai 2023, la région de l’Émilie-Romagne, dans le nord-est de l’Italie, a été le théâtre d’une série d’inondations meurtrières. Elles ont été causées par des pluies torrentielles sans précédent, tombée en seulement quelques jours. Ces précipitations exceptionnelles ont fait déborder les rivières qui ont inondé 23 communes de la région, notamment Modène, Bologne et Ferrare et déclenché plus 300 glissements de terrain.
La protection civile italienne a indiqué que les crues avaient concerné 14 rivières simultanément, d’où l’ampleur de la catastrophe.
Le bilan humain de ces inondations fait état de 14 morts et de 36 000 personnes déplacées.
Les inondations ont aussi causé d’importants dégâts aux infrastructures, notamment aux routes, aux ponts et aux lignes électriques. De très nombreuses habitations, commerces et entreprises ont également été endommagés ou détruits et une part significative des cultures ont été réduites à néant. Les inondations ont eu un impact majeur sur la région et les autorités comme les experts s’accordent à dire qu’il faudra de nombreuses années à la région d’Émilie-Romagne pour s’en remettre.
Pour rappel, l’Émilie-Romagne avait déjà subi de fortes précipitations seulement deux semaines auparavant et des inondations et des glissements de terrain avaient déjà fait deux victimes.
Coté vorteX-io, même si notre réseau de micro-stations hydrologiques in situ ne dispose pas encore de points de mesure dans la région de l’Émilie-Romagne, nos capteurs situés sur le fleuve Pô, à une distance située entre 150 et 200 km du centre des inondations, nous permettent de nous faire une idée de la violence des crues survenues entre le 16 et le 18 mai 2023 en Émilie-Romagne.
En effet, sur ce graphique, consultable sur notre plateforme hydrologique Maelstrom®, on constate une augmentation radicale de la hauteur d’eau du Pô de près de 4 mètres en 36 heures à peine, une semaine environ après les pluies torrentielles tombées sur la région de l’Émilie-Romagne. L’onde de crue aura donc mis plusieurs jours à atteindre les deux micro-stations vorteX-io situées à plusieurs dizaines de kilomètres des zones dévastées. Précisons que le Pô et le plus important fleuve italien en termes de longueur et de débit et qu’à l’endroit où les mesures sont faites, sa largeur est d’approximativement de 200 m. Une hausse de 4 mètres de son niveau en laps de temps aussi bref en dit long sur l’intensité de l’épisode de crue du 16 au 18 mai 2023.
Balkans : la Bosnie-Herzégovine et la Croatie sinistrées elles aussi
Ce mois de mai 2023 fut aussi celui de tous les dangers dans la partie occidentale des Balkans. Tout comme en Italie, la Bosnie-Herzégovine, la Croatie et la Serbie ont été sévèrement touchées par des précipitations diluviennes qui ont déclenché de graves inondations. Les pluies issues d’une dépression centrée sur le nord de l’Adriatique ont fait déborder plusieurs cours d’eau, provoquant des fermetures de routes, des glissements de terrains et l’évacuation de la population de plusieurs territoires en Croatie, où l’armée a été mobilisée pour l’occasion.
La Croatie est régulièrement victime de crues dévastatrices qui provoquent de lourds dégâts ainsi que des pertes humaines, comme celles survenues en 2014. Dans sa volonté d’amélioration de la surveillance des inondations en Europe, vorteX-io va déployer 500 de ses micro-stations hydrologiques en Croatie au cours des deux prochaines années. Ce déploiement opérationnel s’effectuera dans le cadre du projet WHYLD, projet subventionné par le Conseil Européen de l’Innovation (EIC) et qui permettra de doubler le nombre de points de mesure déjà existants sur ce territoire. La collaboration entre les autorités croates et vorteX-io autour de la collecte et de l’analyse de données in situ à grande échelle et en temps réel permettra ainsi de mieux comprendre et d’anticiper ce type de phénomène.
Avril-mai 2023 : période de sécheresse historique dans le sud de la France, en Espagne et au Portugal
Pendant ce temps, à l’échelle du continent, l’Europe fait face à un épisode de sécheresse prolongée très préoccupant pour cette période de l’année sur plusieurs territoires.
La situation est ainsi historique en Espagne et au sud du Portugal, où des records de chaleur (et donc de sécheresse) ont été franchis fin avril 2023, avec des moyennes supérieures de +6 °C et jusqu’à +12 °C localement sur l’ensemble de la péninsule ibérique.
Le nord-ouest du Maghreb n’est pas épargné par cette situation puisqu’il est également touché par des anomalies tout aussi exceptionnelles avec une masse d’air venant du Sahara.
De telles températures de la masse d’air sont semblables à celles que l’on rencontre lors des canicules estivales et n’avaient encore jamais été observées en avril en Espagne avec des pics flirtant avec les 40 °C sur la période allant du 24 au 30 avril 2023.
Comme on peut le voir sur les cartes et les rapports diffusés par l’Observatoire Européen de la Sécheresse (EDO) ces anomalies thermiques et hydriques touchent aussi de plein fouet le sud de la France et notamment le département des Pyrénées-Orientales (66).
(déplacez le curseur vertical pour comparer l’état de la sécheresse en 2022 et 2023 sur les 10 premiers jours du mois de mai)
À la fin du mois d’avril, le Préfet des Pyrénées-Orientales s’est vu dans l’obligation d’organiser un comité de crise “ressource en eau” composé de collectivités, d’usagers, d’experts, d’associations et services de l’État. Ce comité a pu “confirmer, sur des bases objectives et partagées, une situation de sécheresse historique dont l’intensité et la durée n’ont pas d’équivalent depuis le début des relevés météorologiques (1959) et, probablement, bien au-delà.”
La préfecture des Pyrénées-Orientales s’est donc vue dans l’obligation de formuler un arrêté pour passer en « crise sécheresse » les bassins versants et nappes de l’Agly et de la Têt ainsi que les nappes des Aspres et de la bordure côtière, du 10 mai au 13 juin.
Au mois de février dernier, le SMBVA (Syndicat Mixte du Bassin Versant de l’Agly) a demandé à vorteX-io d’installer trois de nos micro-stations au-dessus de la rivière Agly. Grâce à la plateforme Maelstrom®, les équipes du SMBVA peuvent désormais surveiller cette rivière en temps réel et être alertées en cas de franchissement des seuils personnalisés qu’ils ont créés.
À l’opposé des mesures faites sur le bassin du Pô sur la même période, soit du 15 au 24 mai 2023, les résultats sont sans appel : l’eau est absente et la rivière totalement asséchée.
Ce fait est confirmé grâce aux mesures de hauteur d’eau mais aussi aux images prises en temps réel par les micro-stations vorteX-io.
Conclusion
Ces dernières décennies ont vu la fréquence et l’intensité des aléas climatiques et des occurrences de crues et de sécheresse s’accélérer en Europe. L’alternance de ces catastrophes naturelles liées à l’eau est le résultat d’une interrelation complexe ; ces phénomènes s’influençant mutuellement.
Les activités humaines contribuent lourdement au réchauffement climatique en cause dans cette alternance en cercle vicieux. L’émission de gaz à effet de serre, la croissance démographique, l’urbanisation et la modification des pratiques d’utilisation des sols contribuent à cette dynamique délétère en modifiant profondément l’environnement et ses cycles naturels.
La mise en place de mesures visant à minimiser le nombre d’inondations et à réduire leur impact sur les populations, les biens, l’activité économique et l’environnement est d’une importance cruciale. Pour y parvenir, il est essentiel de mettre en œuvre une gestion intégrée des bassins versants, en favorisant la conservation des sols, la préservation des zones humides et la gestion durable des ressources en eau.
Parallèlement, il est nécessaire d’améliorer les infrastructures en investissant dans des systèmes de protection contre les inondations telles que les digues, les barrages et les systèmes de drainage. Une planification adéquate de l’utilisation des terres est également primordiale, en évitant la construction dans les zones à risque élevé d’inondation et en promouvant des pratiques agricoles durables. La mise en place de systèmes d’alerte précoce en temps réel et à grande échelle permet de détecter rapidement les risques d’inondation et de fournir des avertissements aux populations. C’est tout l’enjeu du projet WHYLD, porté par vorteX-io et soutenu par la Commission Européenne.
Précisons ici que du côté de la communauté scientifique, beaucoup d’espoirs reposent sur la mission spatiale franco-américaine SWOT, dont le but est de comprendre le cycle de l’eau à l’échelle globale.
(Pour en savoir plus et découvrir le rôle joué par vorteX-io dans cette mission, vous pouvez consulter cet article).
La sensibilisation et l’éducation des individus sur les mesures de sécurité à prendre sont par ailleurs essentielles pour renforcer la préparation et la résilience face aux risques naturels liés à l’eau.
Enfin, pour faire face à ces défis majeurs et préserver un avenir plus résilient, une coopération internationale solide à l’échelle du territoire européen est absolument indispensable. Le partage des connaissances, des meilleures pratiques, des données hydrologiques et des ressources permettra à l’Europe de prévenir et de gérer efficacement l’alternance des inondations et des sécheresses qui, elles, ne connaissent pas de frontières.
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